
Imaginez une méthode permettant de recenser l’ensemble des espèces de poissons d’un plan d’eau à partir d’un simple prélèvement d’eau, de connaître toutes les espèces végétales butinées par les abeilles d’une ruche à partir d’un échantillon de miel, ou encore de remonter l’histoire de la biodiversité d’un lac et de son bassin-versant sur des milliers d’années. Cette méthode existe : elle utilise les traces d’ADN présentes dans l’environnement, c’est l’ADN environnemental !
L’ADN environnemental, comment ça fonctionne ?
L’ADN environnemental (ADNe) consiste à évaluer l’état de santé d’un écosystème à partir des traces d’ADN présentes dans l’environnement. Ces techniques partent du principe que tout être vivant laisse, derrière lui, des traces d’ADN. L’homme ne fait d’ailleurs pas exception : c’est ce qui permet par exemple aux policiers d’identifier un criminel à partir d’un cheveu laissé sur le lieu du méfait. De la même manière, il est potentiellement possible aujourd’hui à partir d’un simple prélèvement d’eau ou de sol, d’isoler en laboratoire des traces d’ADN et de révéler l’ensemble de la biodiversité du site étudié.
Après le prélèvement d’un échantillon dans le milieu, l’ensemble de l’ADN présent est extrait. Un petit fragment de l’ADN appelé barcode est ensuite amplifié (« photocopié »), puis séquencé (« lu »). Pour aboutir à l’identification des espèces, le résultat de ce séquençage est ensuite comparé à une base de données de références de barcodes, chaque espèce ayant son propre « code barre génétique ». Cette méthode permettant d’identifier des espèces à partir de courtes séquences d’ADN environnemental est appelée « metabarcoding ».
L’ADN environnemental ouvre donc des perspectives immenses en termes d’étude de la biodiversité terrestre et aquatique !
Des méthodes testées et validées sur les peuplements de poissons…
Ces méthodes sont-elles aussi fiables pour inventorier les peuplements de poissons que les approches traditionnelles, comme par exemple la pêche électrique ? Pour répondre à cette question, la Compagnie Nationale du Rhône a mené en 2016 une vaste étude sur le Rhône, du Léman à la Méditerranée, sur une centaine de sites. En complément, l’Office Français de la Biodiversité (OFB) a réalisé différentes expérimentations entre 2015 et 2019 en région Auvergne Rhône-Alpes.
Les résultats de ces études sont très prometteurs. Avant tout, ils démontrent la fiabilité et la sensibilité de ces méthodes : sur l’ensemble des sites investigués sur le Rhône, 83% à 100% des espèces de poissons identifiées via la pêche électrique l’ont également été par l’analyse de l’ADN environnemental, dont deux espèces rares.
Deuxième conclusion importante : ces méthodes sont particulièrement utiles lorsque les sites présentent certaines caractéristiques, par exemple lorsque le courant du cours d’eau est rapide. Il suffit en effet dans ce cas de prélever l’échantillon d’eau à analyser au moyen d’un vigiboat (petit bateau) déposé depuis un pont ou un bateau moteur.
Ces deux études mettent également en lumière le très bon rapport « coût (financier et humain) / efficacité » de ces techniques, qui permettent d’étudier un grand nombre de sites. Ce faible coût ouvre de nombreuses perspectives dans les études de la biodiversité aquatique, et notamment la possibilité de mettre en place des suivis à grandes échelles, telles que l’échelle d’un fleuve.
Enfin, ces méthodes sont moins invasives pour le milieu.
…et sur l’étude d’espèces rares ou exotiques
Les méthodes basées sur l’ADN environnemental permettent également de détecter des espèces rares libérant très peu d’ADN dans le milieu, comme par exemple l’apron du Rhône. L’apron est un poisson endémique du bassin du Rhône (c’est-à-dire qu’il n’existe qu’à cet endroit), indicateur de la qualité des cours d’eau, dont les populations ont fortement décliné au cours du XXème siècle.
Cette espèce a fait l’objet d’un travail de collaboration entre l’Office Français de la Biodiversité (OFB) et SpyGen, une start-up spécialisée dans le domaine de l’analyse de l’ADN environnemental. Cette étude menée en 2016 sur 34 sites situés dans 8 cours d’eau du bassin du Rhône a permis de mettre en évidence la présence d’une population d’apron sur le Verdon, là où il n’avait encore jamais été inventorié par le passé. Des traces d’ADN du poisson ont en effet été détectées dans une zone située en amont de sa limite de répartition connue : des observations directes lors de prospections nocturnes ont ensuite permis de confirmer la présence du poisson dans cette zone.
Comment utiliser les méthodes basées sur l’ADN environnemental ?
Les travaux réalisés depuis la fin des années 2000 au niveau national et international ont prouvé la possibilité d’utiliser l’ADN pour la surveillance des milieux aquatiques. En outre, les évolutions technologiques rapides survenues ces dernières années dans le domaine de la biologie moléculaire, notamment en matière de séquençage de l’ADN, offrent aux scientifiques des outils de plus en plus puissants pour caractériser la biodiversité des écosystèmes. Du fait de leur efficacité et de leur coût réduit, ces techniques permettent désormais de travailler à haut débit sur des échelles spatiales et temporelles plus grandes.
Toutefois, ces méthodes présentent également plusieurs limites, liées tout d’abord à la durée de persistance de l’ADN dans l’environnement, variable selon l’espèce et selon les conditions du milieu (pH et température notamment). Ces approches induisent par exemple un changement d’échelle pour les études des peuplements de poissons :
- Avec une pêche électrique, on étudie une « station », c’est à dire une zone donnée ;
- Avec l’ADN environnemental on étudie un tronçon du cours d’eau, c’est-à-dire qu’on inventorie toutes les espèces passées sur le lieu du prélèvement… mais aussi toutes celles présentes jusqu’à plusieurs kilomètres en amont, leur ADN ayant été transporté par l’eau.
Par ailleurs, l’ADN de certaines espèces peine à être amplifié par les techniques actuelles, d’où une difficulté de séquençage et donc d’identification de certaines espèces.
Enfin, si l’on prend l’exemple des inventaires de poissons, l’approche par ADN ne donne aucune information sur les caractéristiques des individus (taille, âge, stade de développement, etc.) ni, dans l’état des recherches actuelles, sur le nombre de poissons présents (taille de la population).
Les approches par ADN environnemental ont donc des biais… mais les techniques traditionnelles aussi. Ces deux approches sont donc complémentaires et doivent coexister !
Remonter l’histoire d’un lac à plusieurs milliers d’années ? C’est possible grâce à l’ADN piégé dans les sédiments de ses profondeurs, qui sont de véritables archives retraçant l’histoire du lac et de son bassin versant ! Pour en savoir encore plus sur l’ADN environnemental, rendez-vous par ici.